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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/325

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Vraiment, cette fois, il avait peur ; peur pour elles, et peur pour lui-même, non du danger immédiat, mais du scandale européen, universel, qui ne manquerait point de survenir s’il se laissait prendre. Il arrivait lentement, les yeux au guet. Disposition favorable, la maison de Djénane était sans vis-à-vis et donnait, comme toutes celles du voisinage, sur le grand cimetière de cette rive ; en face, rien que les vieux cyprès et les tombes ; aucun regard ne pouvait venir de ce côté-là, qui était une solitude enveloppée aujourd’hui par la brume de novembre.

Le signal blanc était à son poste ; il ne s’agissait donc plus de reculer. Il entra, comme qui se jette tête baissée dans un gouffre. Un vestibule monumental, vieux style, vide aujourd’hui de ses gardiens armés et dorés. Mélek seule, en tcharchaf noir derrière la porte, et qui lui jeta, de sa voix rieuse :

— Vite, vite ! Courez !

Ensemble, ils montèrent un escalier quatre à quatre, traversèrent comme le vent de longs couloirs, et firent irruption dans l’appartement de Djénane, qui attendait toute palpitante, et referma sur eux à double tour.

Un éclat de rire, aussitôt : leur rire de gaminerie qu’elles lançaient comme un défi à tout et à tous, chaque fois qu’un danger plus immédiat venait d’être conjuré. Et Djénane montrait d’un amusant petit air