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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/326

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de triomphe la clef qu’elle tenait à la main : une clef, une serrure, quelle innovation subversive, dans un harem ! Elle avait obtenu ça depuis hier, paraît-il, et n’en revenait pas de ce succès. Elle, Djénane, et aussi Zeyneb, puis Mélek lestement débarrassée de son tcharchaf, étaient plus pâles que de coutume, à cause du jeûne sévère. D’ailleurs elles se présentaient à André sous un aspect tout à fait nouveau pour lui, qui ne les avait jamais vues qu’en odalisques ou en fantômes : coiffées et habillées en Européennes très élégantes ; seul détail pour les rendre encore un peu Orientales, des tout petits voiles de Circassie, en gaze blanche et argent, posés sur leurs cheveux, descendaient sur leurs épaules.

— Je croyais qu’à la maison vous ne mettiez pas de voile du tout, demanda André.

— Si, si, toujours. Mais ces petits-là seulement.

Elles le firent entrer d’abord dans le salon de musique, où l’attendaient trois autres femmes, conviées à la périlleuse aventure : mademoiselle Bonneau de Saint-Miron, mademoiselle Tardieu, ex-institutrice de Mélek, et enfin une dame-fantôme, Ubeydé Hanum, diplômée de l’école normale et professeur de philosophie au lycée de jeunes filles, dans une ville d’Asie Mineure. Pas rassurées, les deux Françaises, qui étaient restées longtemps indécises entre la tentation et la peur de venir. Et mademoiselle de Saint-Miron