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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/327

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avait tout l’air de quelqu’un qui se dit à soi-même : « C’est moi, hélas ! la cause première de cet inénarrable désastre, André Lhéry en personne dans l’appartement de mon élève ! » Elles causèrent cependant, car elles en mouraient d’envie, et il parut à André qu’elles avaient l’âme à la fois haute et naïve, ces deux demi-vieilles filles ; du reste, distinguées et supérieurement instruites, mais avec une exaltation romanesque un peu surannée en 1904. Elles crurent pouvoir lui parler de son livre, dont elles savaient le titre et qui les excitait beaucoup :

— Plusieurs pages de vos Désenchantées sont déjà écrites, maître, n’est-ce pas ?

— Mon Dieu ! non, répondit-il en riant, pas une seule !

— Et moi, je le préfère, — dit Djénane à André, de sa voix qui surprenait toujours comme une musique extra-terrestre, même après d’autres voix déjà très douces. — Vous le composerez une fois parti, ce livre, ainsi au moins il servira encore de lien entre nous pendant quelques mois : quand vous aurez besoin d’être documenté, vous songerez à nous écrire…

André jugeant devoir, par politesse, adresser une fois la parole à la dame-fantôme, lui demanda le plus banalement du monde si elle était contente des petites Turques d’Asie, ses élèves. Il prévoyait quelque réponse de pédagogue, aussi banale que sa question.