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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/33

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une langue d’Asie, dont s’étonnaient sûrement les tentures, les meubles et les livres.

« Kondja-Gul, tu n’es jamais là ! »

Mais c’était dit sur un ton dolent et affectueux qui atténuait beaucoup le reproche. Un reproche inique du reste, car Kondja-Gul était toujours là au contraire, beaucoup trop là, comme un chien fidèle à l’excès, et la jeune fille souffrait plutôt de cet usage de son pays qui veut qu’on n’ait jamais de verrou à sa porte ; que les servantes de la maison entrent à toute heure comme chez elles ; qu’on ne puisse jamais être assurée d’un instant de solitude. Kondja-Gul, sur la pointe du pied, était bien venue vingt fois ce matin pour guetter le réveil de sa jeune maîtresse. Et quelle tentation elle avait eue de souffler cette bougie qui brûlait toujours ! Mais voilà, c’était sur ce bureau où il lui était interdit de jamais porter la main, qui lui semblait plein de dangereux mystères, et elle avait craint, en éteignant cette petite flamme, d’interrompre quelque envoûtement peut-être…

"Kondja-Gul, vite mon tcharchaf (1) ! J’ai besoin d’aller chez mes cousines.

(1)Voiles dissimulateurs pour la rue.

Et Kondja-Gul entreprit d’envelopper l’enfant dans des voiles noirs. Noire, l’espèce de jupe qu’elle posa sur la matinée du bon faiseur ; noire la longue pèlerine