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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/331

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entendue que de loin, en passant la nuit sous ses fenêtres au Bosphore. Mais non, en Ramazan, on osait à peine faire de la musique. Et puis, quelle imprudence de réveiller cette grande maison dormeuse, dont le sommeil, en ce moment, était si nécessaire !

Quant à Djénane, elle désirait que son ami se fût accoudé une fois pour écrire à son bureau de jeune fille, —son bureau sur lequel jadis, au temps où il n’était à ses yeux qu’un personnage de rêve, elle griffonnait son journal en pensant à lui. Donc, elles l’emmenèrent dans la grande chambre où tout était blanc, luxueux et très moderne. Il dut regarder en leur compagnie, par les fenêtres aux persiennes quadrillées toujours closes, ces perspectives familières à leur enfance, et devant lesquelles sans doute la grise et lente vieillesse finirait par venir peu à peu les éteindre ; des cyprès, des stèles de tous les âges ; en bas, comme dans un précipice, l’eau de la Corne-d’Or, aujourd’hui terne et lourde, semblable à une nappe d’étain, et puis, au-delà, Stamboul noyé de brume hivernale. Il du regarder aussi, par les fenêtres libres qui donnaient à l’intérieur, ce vieux jardin si haut muré que Djénane lui avait décrit dans ses lettres:« Un jardin tellement solitaire, lui disait-elle, que l’on peut y errer sans voile. D’ailleurs, chaque fois que nous y descendons, nos nègres sont là, pour éloigner les jardiniers. »