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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/35

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Et elle reprit en langue d’Asie :

"Ma grand-mère est-elle levée, sais-tu ?

— Non, la dame a dit qu’elle se reposerait tard, pour être plus jolie demain.

— Alors, à son réveil, on lui dira que je suis chez mes cousines. Va prévenir le vieux Ismaël pour qu’il m’accompagne ; c’est toi et lui, vous deux que j’emmène."

Cependant mademoiselle Ester Bonneau (de Saint-Miron), là-haut dans sa chambre, —son ancienne chambre du temps où elle habitait ici et qu’elle venait de reprendre pour assister à la solennité de demain ; — mademoiselle Ester Bonneau avait des inquiétudes de conscience. Ce n’était pas elle, bien entendu, qui avait introduit sur le bureau laqué de blanc le livre de Kant, ni celui de Nietzsche, ni même celui de Baudelaire ; depuis dix-huit mois que l’éducation de la jeune fille était considérée comme finie, elle avait dû aller s’établir chez un autre pacha, pour instruire ses petites filles ; alors seulement sa première élève s’était ainsi émancipée dans ses lectures, n’ayant plus personne pour contrôler sa fantaisie. C’est égal, elle, l’institutrice, se sentait responsable un peu de l’essor déréglé pris par ce jeune esprit. Et puis, cette correspondance avec André Lhéry, qu’elle avait favorisée, où ça mènerait-il ? Deux êtres, il est vrai, qui ne se verraient jamais:ça au moins on pouvait en être sûr; les