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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/364

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ce soleil ; les heures me sont strictement comptées, avant la vieillesse et le néant… »

Mais comme toujours, quand le réveil fut complet, reparurent à son esprit les mille petites choses amusantes et jolies de la vie quotidienne, les mille petits mirages qui font oublier la marche du temps, et la mort. Pour commencer, ce fut la Vallée-du-Grand-Seigneur qui se représenta à son souvenir ; elle était là, en face de lui, derrière ces collines boisées de la rive d’Asie qu’il apercevait chaque matin en ouvrant les yeux, et il irait dans l’après-midi s’y asseoir comme l’année dernière à l’abri des platanes, pour fumer des narguilés en regardant de loin passer sur la prairie les promeneuses voilées qui ressemblent à des ombres élyséennes. Ensuite ce fut la préoccupation puérile de son nouveau caïque ; on l’avertit qu’il venait d’accoster sous les fenêtres, arrivant tout fraîchement doré de Stamboul, et que les rameurs demandaient à essayer leurs livrées neuves. Pour son dernier été d’Orient, il voulait paraître en bel équipage, les vendredis, aux Eaux-Douces, et il avait imaginé une très orientale combinaison de couleurs ; les vestes des bateliers et le long tapis traînant allaient être en velours capucine brodé d’or, et sur ce tapis, le domestique assis à la turque, tout au bout de la petite proue effilée, serait en bleu-de-ciel brodé d’argent. Quand ces figurants eurent endossé leurs parures nouvelles, il descendit