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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/37

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Le petit fantôme noir, éclatant de rire derrière son voile, en un tour de main coiffa mademoiselle Bonneau d’une dentelle sur les cheveux et l’entraîna par la taille :

« Moi, que je m’embobeline, il faut bien, c’est la loi… Mais vous, qui n’êtes pas obligée… Et pour aller à deux pas… Et dans ce quartier où jamais on ne rencontre un chat !… »

Elles descendirent l’escalier quatre à quatre. Kondja-Gul et le vieux Ismaël, eunuque éthiopien, les attendaient en bas pour leur faire cortège : —Kondja-Gul empaquetée des pieds à la tête dans une soie verte lamée d’argent : l’eunuque sanglé dans une redingote noire à l’européenne qui, sans le fez, lui eût donné l’air d’un huissier de campagne.

La lourde porte s’ouvrit ; elles se trouvèrent dehors, sur une colline, au clair soleil de onze heures, devant un bois funéraire, planté de cyprès et de tombes aux dorures mourantes, qui dévalait en pente douce jusqu’à un golfe profond chargé de navires.

Et au-delà de ce bras de mer étendu à leurs pieds, au-delà, sur l’autre rive à demi cachée par les cyprès du bois triste et doux, se profilait haut, dans la limpidité du ciel, cette silhouette de ville qui était depuis vingt ans la hantise nostalgique d’André Lhéry ; Stamboul trônait ici, non plus vague et crépusculaire comme dans les songes du romancier, mais précis, lumineux et réel.