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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/38

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Réel, et pourtant baigné comme d’un chimérique brouillard bleu, dans un silence et une splendeur de vision, Stamboul, le Stamboul séculaire était bien ici, tel encore que l’avaient contemplé les vieux Khalifes, tel encore que Soliman le Magnifique en avait jadis conçu et fixé les grandes lignes, en y faisant élever de plus superbes coupoles. Rien ne semblait en ruine, de cette profusion de minarets et de dômes groupés dans l’air du matin, et cependant il y avait sur tout cela on ne sait quelle indéfinissable empreinte du temps ; malgré la distance et l’un peu éblouissante lumière, la vétusté s’indiquait extrême. Les yeux ne s’y trompaient point : c’était un fantôme, un majestueux fantôme du passé, cette ville encore debout, avec ses innombrables fuseaux de pierre, si sveltes, si élancés qu’on s’étonnait de leur durée. Minarets et mosquées avaient pris, avec les ans, des blancheurs déteintes, tournant aux grisailles neutres ; quant à ces milliers de maisons en bois, tassées à leur ombre, elles étaient couleur d’ocre ou de brun rouge, nuances atténuées sous le bleuâtre de la buée presque éternelle que la mer exhale alentour. Et cet ensemble immense se reflétait dans le miroir du golfe.

Les deux femmes, celle voilée en fantôme et l’autre avec sa dentelle posée à la diable sur les cheveux, marchaient vite, suivies de leur escorte nègre, regardant à peine ce décor prodigieux, qui était pour elle le