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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/375

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chaque fois que changeait le nom du mois, le matin du 1er septembre marqua un grand échelon franchi, dans cette descente de la vie qui s’accélérait comme une chute. Il lui parut que, depuis la veille, l’air avait soudainement pris sa limpidité et sa fraîcheur de l’automne, et qu’il était plus sonore aussi, comme cela arrive d’habitude à l’arrière-saison ; mieux qu’hier on entendait les trompettes turques, au timbre grave, qui sonnaient en face, sur la côte d’Asie où les soldats ont un poste, à l’ombre des platanes de Béicos. L’été s’enfuyait décidément, et ils songea, avec un frisson, que les colchiques violets allaient commencer de fleurir parmi des feuilles mortes, dans la Vallée-du-Grand-Seigneur.

Cependant combien tout était radieux ce matin, et quel calme inaltéré sur le Bosphore ! Pas un souffle, et, à mesure que montait le soleil, une tiédeur délicieuse. Sur l’eau passait maintenant une longue caravane de navires voiliers, remorqués par un bateau à vapeur ; navires turcs d’autrefois, avec des châteaux-d’arrière aux peinturlures archaïques, navires comme on n’en voit plus qu’en ces parages ; toute toile serrée, ils s’en allaient docilement ensemble vers la Mer Noire, dont l’entrée s’apercevait là-bas entre deux plans d’abruptes montagnes, et qui semblait une mer si tranquille et inoffensive, pour qui ne l’eût point connue. Directement au-dessous de ses fenêtres, André regarda