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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/377

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oublia la date et ne sentit plus la menace des proches lendemains.

L’après-midi, il alla donc aux Eaux-Douces, où tout rayonnait dans une lumière idéale; il y croisa ses trois amies, et cueillit d’autres regards de femmes voilées. Il en revint par un incomparable soir, en longeant la côte d’Asie : vieilles maisons muettes où l’on ne sait jamais quel drame se passe ; vieux jardins secrets sous des retombées de verdure ; vieux quais de marbre très gardés, où d’invisibles belles sont toujours assises les vendredis pour assister au retour des caïques. Entraîné par la cadence vive de ses rameurs, il fendait l’air caressant et suave ; respirer était une ivresse. Il se sentait reposé, il avait conscience d’être jeune d’aspect à ce moment, et en lui s’éveillait la même ardeur à vivre qu’au temps de sa prime jeunesse, la même soif de jouir éperdument de tout ce qui passe. Son âme, qui le plus souvent n’était qu’un obscur abîme de lassitude, pouvait ainsi changer, sous le voluptueux enjôlement des choses extérieures, ou devant quelque fantasmagorie jouée pour ses yeux d’artiste, —changer, redevenir comme neuve, se sentir prête pour toute une suite d’aventures et d’amours.

Il ramenait dans son caïque Jean Renaud, qui lui confiat avec des plaintes brûlantes sa peine d’être amoureux d’une belle dame des ambassades, très aimablement