Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aimablement indifférente à son désir, et d’être amoureux en même temps de Djénane qu’il n’avait jamais vue, mais dont la silhouette et la voix troublaient son sommeil. Et André écoutait sans hausser les épaules de tels aveux, qui étaient bien dans le ton de cette soirée ; il se sentait au diapason avec ce jeune, et préoccupé uniquement des mêmes questions, tout le reste ne comptant plus. L’amour était partout dans l’air. Confidence pour confidence, il avait envie de lui crier, dans une sorte de triomphe : « Eh bien ! moi, tenez, je suis plus aimé que vous !… »

Ils continuèrent leur chemin sans plus se parler, chacun pour soi égoïstement plongé dans ses pensées que dominait l’amour ; et la splendeur d’un soir d’été sur le Bosphore magnifiait leur rêverie. Auprès d’eux, les quais interdits des vieilles demeures continuaient de défiler ; des femmes assises tout au bord les regardaient glisser, dans les rayons maintenant couleur de cuivre rouge, et ils s’amusaient en eux-mêmes de savoir que, pour les spectatrices voilées, leur passage, leur caïque avec ses nuances rares, devait faire bien, au milieu de cette apothéose du soleil couchant.