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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/407

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sûre, avec son tact professionnel, que son heure était venue, elle s’approchait pour commencer son rôle.

— Non ! Non ! dit Djénane, en se jetant sur la petite morte, pas encore ! Je ne veux pas que vous l’emportiez, non !…

— Là, là, doucement, dit la vieille femme, en l’écartant avec autorité, je ne lui ferai point de mal.

Du reste, il n’y avait aucune méchanceté dans sa laideur, mais plutôt de la compassion morne, et surtout une grande lassitude. Tant et tant de jolies fleurs fauchées dans les harems, tant elle avait dû en emporter, cette vieille aux bras robustes, cette « Laveuse de morte », ainsi qu’on les appelle.

Elle la prit à son cou, comme une enfant malade, et la belle chevelure rousse, dénouée, s’épandit sur son horrible épaule. Deux de ses aides, — d’autres vieilles praticiennes encore plus effrayantes, — attendaient dans l’antichambre avec des lumières. Djénane et celle qui priait se mirent à suivre, par les corridors et les vestibules plongés dans le froid silence d’avant-jour, le groupe macabre qui s’en allait, se dirigeant vers l’escalier pour descendre…

Ainsi la petite Mélek-Sadiha-Saadet, à vingt ans et demi, mourut de la terreur d’être jetée une seconde fois dans les bras d’un maître imposé…

L’escalier descendu, les vieilles avec leur fardeau arrivèrent à la porte d’une salle du rez-de-chaussée,