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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/41

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un aspect clandestin à tout ce luxe épars, destiné à éblouir ou charmer d’autres femmes, mais que les yeux d’aucun homme portant moustache n’auraient le droit de voir. Et, dans un coin, deux négresses esclaves, en costume asiatique, assises sans façon, se chantaient des airs de leur pays, scandés sur un petit tambourin qu’elles tapaient en sourdine. (Nos farouches démocrates d’Occident pourraient venir prendre des leçons de fraternité dans ce pays débonnaire, qui ne reconnaît en pratique ni castes ni distinctions sociales, et où les plus humbles serviteurs ou servantes sont toujours traités comme gens de la famille.)

L’entrée de la mariée fit sensation et stupeur. On ne l’attendait point ce matin-là. Qui pouvait l’amener ? Toute noire dans son costume de rue, combien elle paraissait mystérieuse et lugubre au milieu de ces blancs, de ces roses, de ces bleus pâles des soies et de mousselines ! Qu’est-ce qu’elle venait faire, comme ça, à l’improviste, chez ses demoiselles d’honneur ?

Elle releva son voile de deuil, découvrit son fin visage et, d’un petit ton détaché, répondit en français — qui était décidément une langue familière aux harems de Constantinople :

"Une lettre, que je venais vous communiquer !

— De qui, la lettre ?

— Ah ! devinez ?