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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/436

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plus de réponse, plus rien pendant cinq semaines, jusqu’à cette lettre de Zeyneb :


Khassim-Pacha, le 13 Zilkada 1323.

André, c’est demain matin que l’on doit conduire notre chère Djénane à Stamboul, dans la maison de Hamdi Bey une seconde fois, avec le cérémonial usité pour les mariées. Tout a été conclu singulièrement vite, toutes les difficultés aplanies ; les deux familles ont combiné leurs démarches auprès de Sa Majesté Impériale pour que l’iradé de séparation fût rapporté ; elle n’a eu personne pour la défendre.

Hamdi Bey lui a envoyé aujourd’hui les plus magnifiques gerbes de roses de Nice ; mais ils ne se sont pas même revus encore, car elle avait chargé Émiré Hanum de lui demander comme seule grâce d’attendre après la cérémonie de demain. Elle a été comblée de fleurs, si vous pouviez voir sa chambre, où vous êtes entré une fois, elle a voulu les y faire porter toutes, et on dirait un jardin d’enchantement.

Ce soir, je l’ai trouvée stupéfiante de calme, mais je sens bien que ce n’est que lassitude et résignation. Dans la matinée de ce jour, où il faisait étrangement beau, je sais qu’elle a pu sortir accompagnée seulement de Kondjé-Gul, pour aller aux tombes de Mélek et de votre Nedjibé, et, sur la hauteur d’Eyoub, à ce coin du cimetière où ma pauvre petite sœur vous avait photographiés ensemble, vous en souvenez-vous ? Je voulais passer cette dernière soirée auprès d’elle, nous avions fait ainsi, Mélek et moi, la veille de son premier mariage ; mais j’ai compris qu’elle préférait être seule ; je me suis donc retirée avant la nuit, le cœur meurtri de détresse.

Et maintenant me voilà rentrée au logis, dans un isolement affreux ; je la sens plus perdue que la première