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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/44

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du temps de sa jeunesse. C’est qu’il doit commencer à être marqué, tu sais, ton poète !…"

C’était pourtant vrai, d’une vérité incontestable, qu’il ne pouvait plus être jeune, André Lhéry. Et, pour la première fois, cette constatation s’imposait à l’esprit de sa petite amoureuse inconnue, qui n’avait jamais pensé à cela:constatation plutôt décevante, dérangeant son rêve, voilant de mélancolie son culte pour lui…

Malgré leurs airs de sourire et de railler, elles l’aimaient toutes, cet homme lointain et presque impersonnel, toutes celles qui étaient là ; elles l’aimaient pour avoir parlé avec amour de leur Turquie, et avec respect de leur Islam. Une lettre de lui écrite à l’une d’elles était un événement dans leur vie cloîtrée où, jusqu’à la grande catastrophe foudroyante du mariage, jamais rien ne se passe. On la relut à haute voix. Chacune désira toucher ce carré de papier où sa main s’était posée. Et puis, étant toutes graphologues, elles entreprirent de sonder le mystère de l’écriture.

Mais une maman survint, la maman des deux sœurs, et vite, avec un changement de conversation, la lettre disparut, escamotée. Non pas qu’elle fût bien sévère, cette maman-là, au si calme visage, mais elle aurait grondé tout de même, et surtout n’eût pas su comprendre; elle était d’une autre génération, parlant peu le français et n’ayant lu qu’Alexandre Dumas père. Entre