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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/45

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elle et ses filles, un abîme s’était creusé, de deux siècles au moins, tant les choses marchent vite dans la Turquie d’aujourd’hui. Physiquement même, elle ne leur ressemblait pas, ses beaux yeux reflétaient une paix un peu naïve qui ne se retrouvait point dans le regard des admiratrices d’André Lhéry:c’est qu’elle avait borné son rôle terrestre à être une tendre mère et une épouse impeccable, sans en chercher plus. D’ailleurs, elle s’habillait mal en Européenne, et portait gauchement encore des robes trop surchargées, quand ses enfants au contraire savaient déjà être si élégantes et fines dans des étoffes très simples.

Maintenant se fut l’institutrice française de la maison qui fit son entrée, —genre Esther Bonneau, en plus jeune, en plus romanesque encore. Et comme la chambre était vraiment trop encombrée, avec tant de monde, de robes jetées sur les chaises et de matelas par terre, on passa dans une plus grande pièce voisine, « modern style », qui était le salon du harem.

Surgit alors sans frapper, par la porte toujours ouverte, une grosse dame allemande à lunettes, en chapeau lourdement empanaché, amenant par la main Fahr-el-Nissâ, la plus jeune des invitées. Et, dans le cercle des jeunes filles, aussitôt on se mit parler allemand, avec la même aisance que tout à l’heure pour le français. C’était le professeur de musique, cette