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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/444

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je me suis rendue à Eyoub, seule avec ma vieille esclave, demander aux morts de me faire accueil. Parmi les tombes jai erré, choisissant ma place. Dans ce coin où nous nous étions assis ensemble, je me suis reposée seule. Ce jour dhiver avait la douceur de lavril où mon âme, en ce même lieu, sétait donnée… Dans la Corne-dOr, au retour, du ciel il pleuvait des roses. Oh ! mon pays, si beau dans ta pourpre du soir ! Jai clos mes yeux pour emporter dans lautre vie ta vision !…

Zeyneb mavait conseillé la fuite, quand lannulation de liradé nous a été signifiée. Cependant, je nai pu my résoudre. Peut-être, si javais su trouver, sous un autre ciel, lamour pour maccueillir… Mais je navais droit de prétendre quà une pitié affectueuse. Jaime mieux la mort, je suis lasse.

Un calme étrange règne en moi… Jai fait apporter dans ma chambre, — ma chambre de jeune fille oh vous êtes entré un jour, —toutes les fleurs envoyées par mes amies pour la « fête » de demain. En les disposant autour de mon lit, de la table sur laquelle jécris, c’est à vous, ami, que je pense. Je vous évoque. Cette nuit, vous êtes mon compagnon. Si je ferme les yeux, vous voici, froid, immobile ; mais vos yeux à vous, — ces yeux dont je naurai jamais sondé le mystère, —percent mes paupières closes et me brûlent le cœur. Et si je rouvre mes yeux, vous êtes là encore parmi les fleurs, votre portrait me regarde.

Et votre livre, —notre livre, — à part ces feuillets que vous mavez donné et qui me suivront demain, je men vais donc sans lavoir lu ! Ainsi je n’aurai pas même su votre exacte pensée. Aurez-vous bien senti la tristesse de notre vie. Aurez-vous bien compris le crime déveiller des âmes qui dorment et puis de les briser si elles senvolent, linfamie de réduire des femmes à la passivité des choses ?… Dites-le, vous, que nos existences sont comme enlisées dans du sable, et pareilles à de lentes agonies… Oh ! dites-le ! Que