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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/446

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flacon d’oubli est vide. Je suis déjà une chose du passé. En une minute, j’ai franchi la vie, il ne m’en reste qu’un goût amer de fleurs aux lèvres. La terre me parait lointaine, et tout se brouille et de dissout ? —tout sauf l’ami que j’aimais, que j’appelle, que je veux près de moi jusqu’à la fin. »

L’écriture commençait à s’en aller de travers comme celle des petits enfants. Puis, vers la fin de la nouvelle page, les lignes chevauchaient tout à fait. La pauvre petite main n’y était plus, ne savait plus, les lettres se rapetissaient trop, ou bien tout à coup devenaient très grandes, effrayantes d’être si grandes… C’était le dernier feuillet, celui qui avait été tordu et pétri pendant la convulsion de la mort, et les meurtrissures de ce papier ajoutaient à l’horreur de lire.

"…l’ami que j’appelle, que je veux près de moi jusqu’à la fin… Mon bien-aimé, venez vite, car je veux vous le dire… Ne saviez-vous donc pas que je vous chérissais de tout mon être ? Quand on est mort, on peut tout avouer. Les règles du monde, il n’y en a plus. Pourquoi, en m’en allant, ne vous avouerais-je pas que je vous ai aimé ?…

André, ce jour où vous êtes assis là, devant ce bureau où je vous écris mon adieu, le hasard, comme je me penchais, m’a fait vous frôler ; alors j’ai fermé les yeux, et derrière mes yeux clos, quels beaux songes ont tout à coup passé ! Vos bras me pressaient contre votre cœur, et mes mains emplies d’amour touchaient doucement vos yeux et en chassaient la tristesse. Ah ! la mort aurait pu venir, et elle serait venue en même temps que pour vous la lassitude, mais comme elle eût été douce, et quelle