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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/47

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d’André Lhéry, cette aïeule ! Sa robe brodée d’argent était de mode ancienne et un voile de Circassie enveloppait sa chevelure blanche. Entre elle et ses petites— filles, l’abîme d’incompréhension demeurait absolument insondable, et, pendant les repas, plus d’une fois lui arrivait-il de les scandaliser par l’habitude qu’elle avait conservée de manger le riz avec ses doigts comme les ancêtres, —ce que faisant, elle restait grande dame quand même, grande dame jusqu’au bout des ongles, et imposante à tous.

Donc, on s’était mis à parler turc, par déférence pour l’aïeule, et subitement le murmure des voix était devenu plus harmonieux, doux comme de la musique.

Parut maintenant une femme, svelte et ondoyante, qui arrivait du dehors, et ressemblait, bien entendu, à un fantôme tout noir. C’était Alimé Hanum, professeur agrégée de philosophie au lycée de jeunes filles fondé par Sa Majesté Impériale le Sultan; d’habitude elle venait trois fois par semaine enseigner à Mélek la littérature arabe et persane. Il va sans dire, pas de leçon aujourd’hui, veille de mariage, jour où les cervelles étaient à l’envers. Mais quand elle eut relevé son voile en cagoule et montré sa jolie figure grave, la conversation tomba sur les vieux poètes de l’Iran, et Mélek, devenue sérieuse, récita un passage du « Pays des roses », de Saadi.

Aucune trace d’odalisques, ni de narguilé, ni de