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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/87

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voix douce que Kondja-Gul avait annoncée, et le sourire un peu félin que lui a légué sa mère, —quant au jeune bey, jusqu’ici d’une délicatesse accomplie, il fait à sa femme, dont la supériorité lui est déjà apparue, une cour discrète, moitié enjouée, moitié respectueuse, et, comme c’est la règle en Orient, dans le monde, il s’efforce de la conquérir avant de la posséder. (Car, si le mariage musulman est brusque et insuffisamment consenti avant la cérémonie, après en revanche il a des ménagements et des pudeurs qui ne sont guère dans nos habitudes occidentales.)

De service chaque jour au palais d’Yldiz, Hamdi-Bey rentre à cheval le soir, se fait annoncer chez sa femme et s’y tient d’abord comme en visite. Après le souper, il s’assied plus intimement sur un canapé près d’elle, pour fumer en sa compagnie ses cigarettes blondes, et tous deux alors s’observent et s’épient comme des adversaires en garde ; lui, tendre et câlin, avec des silences pleins de trouble ; elle, spirituelle, éblouissante tant qu’il ne s’agit que d’une causerie, mais tout à coup le désarmant par une résignation affectée d’esclave, s’il tente de l’attirer sur sa poitrine ou de l’embrasser. Ensuite, quand dix heures sonnent, il se retire en lui baisant la main… Si c’était elle qui l’eût choisi, elle l’aurait aimé probablement ; mais la petite princesse indomptée de la plaine de Karadjiamir ne fléchirait point devant le maître imposé… Elle savait