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MADAME CHRYSANTHÈME

veau d’une poussée brusque, comme mues par un ressort, changent de costume, changent de figure, se démènent dans une frénésie continuelle. À un moment donné, il en paraît jusqu’à trois, quatre à la fois : ce sont les quatre membres de l’homme couché, ses deux jambes en l’air et ses deux bras, habillés chacun d’une robe, coiffés d’une perruque et surmontés d’un masque. Des scènes, des batailles à grands coups de sabre se passent entre ces fantômes.

Il y a surtout une marionnette de vieille femme qui fait peur ; chaque fois qu’elle reparait avec sa tête plate au rire de cadavre, les lampes se baissent ; la musique à l’orchestre devient une sorte de gémissement de flûtes très sinistre, avec un trémolo de claquebois qui fait songer à des os entre-choqués. — Évidemment elle joue dans la pièce un très vilain rôle, cette personne ; elle doit être une vieille goule malfaisante et affamée. Ce qu’elle a de plus effrayant, c’est son ombre, toujours projetée avec une netteté voulue sur un écran blanc ; par un procédé qui ne s’explique pas, cette ombre, qui suit tous ses mouvements comme une ombre véritable, est celle d’un loup. —