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mées. J’essayai de me mêler à cette foule qui s’agitait sur la place : c’était de ces marins qu’on appelle là des Islandais, qui s’exilent tous les étés, six mois durant, pour aller faire la grande pêche dangereuse dans les mers froides.

Aucun de ces hommes n’était seul. Ils circulaient en chantant par les rues avec des jeunes femmes au bras, des sœurs, des fiancés, des maîtresses. Et ces images de joie et de vie me donnaient le sentiment de mon isolement profond. Je marchais seul, moi, triste et inconnu d’eux tous, sous mon costume d’emprunt pareil au leur. On me dévisageait. « Qui est celui-là ? Un marin d’ailleurs, à la recherche d’un navire ? Nous ne l’avons jamais vu parmi nous. »

Je me sentais froid au cœur, et brusquement je repris le chemin de Plouherzel. Après tout, je ne les gênerais peut-être pas beaucoup, mes amis simples de là-bas, en allant un peu me réchauffer près d’eux.

J’avais oublié de dîner et je marchais d’un pas rapide, craignant d’arriver bien tard, de trouver là-bas la chaumière fermée et mes amis couchés.