Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/120

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petite maison où nous demeurons. Il dépensa le reste à s’amuser à Paimpol et à faire des choses qui, certainement, n’étaient pas bien. Mais ils sont tous comme ça, monsieur, vous le savez mieux que moi. Pendant deux mois, on ne parlait que de lui dans la ville…

» Depuis il est reparti et nous ne l’avons pas revu. C’est un brave marin, monsieur, que mon fils Gildas ; mais il est perdu comme son père parce que, lui aussi, s’est mis à boire.

Et la vieille femme courba douloureusement la tête en parlant de ce fléau sans remède qui dévore les familles des marins bretons.

Il y eut un silence, et elle parla de nouveau à sa fille d’une voix grave en me regardant.

— Elle demande, monsieur… si vous voulez lui faire cette promesse… au sujet de mon frère…

Ce regard anxieux, profond, fixé sur moi, me causait une impression étrange. C’est pourtant vrai que toutes les mères, quelles que soient les distances qui les séparent, ont, à certaines heures, des expressions pareilles… Maintenant il me semblait que cette mère d’Yves avait quelque chose de la mienne.