Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/156

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Enfin, voici son feu rouge qui s’avance, en retard de deux heures !

La mer est sonore la nuit ; déjà on entend des cris qui se mêlent au bruit des avirons ; il doit se passer dans cette chaloupe d’étranges choses.

… Elle est à peine accostée ; trois maîtres ivres, furieux, se précipitent à bord et me demandent la tête d’Yves :

— Qu’on le mette aux fers pour commencer ; qu’on le juge et qu’on le fusille après car il a frappé ses supérieurs en service.

Yves est là debout, tremblant de la lutte qu’il vient de soutenir. Ces trois maîtres l’ont battu, ou du moins ont essayé de le battre.

— Ils croyaient me faire du mal ! dit-il avec mépris ; et il jure qu’il n’a pas rendu les coups de ces trois vieux ; d’ailleurs, il les eût chavirés ensemble du revers de sa main. Non : il les a laissés s’accrocher à lui et le déchirer ; ils lui ont égratigné le visage et mis ses vêtements en lambeaux, parce qu’il refusait de leur laisser conduire la chaloupe, à eux qui étaient ivres.

Tous les chaloupiers aussi sont ivres, par la faute d’Yves, qui les a laissés boire.