Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/306

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gorge étranglée. Déserteur ! Yves ! perdu ! Dans sa tête repassait l’image de Goulven, son frère, et des mers lointaines d’où les marins ne reviennent plus. Et, comme elle sentait son impuissance contre cette volonté qui l’écrasait, elle restait là, anéantie.

Yves s’était mis à lui parler, très doucement, avec son calme sombre lui montrant le petit paquet d’effets qu’il avait apporté :

— Tiens, ma pauvre Marie, demain, quand mon navire sera parti, tu renverras cela d’abord, tu m’entends bien. On ne sait pas !… si on me reprenait… C’est toujours plus grave, emporter les effets de l’État ! Et puis voilà d’abord les avances qu’on m’a données… Vous retournerez à Toulven… Oh ! je t’enverrai de l’argent de là-bas, tout ce que je gagnerai ; tu comprends, il ne m’en faudra plus beaucoup à moi. Nous ne nous reverrons plus, mais tu ne seras pas trop malheureuse… tant que je vivrai.

Elle voulait l’entourer avec ses bras, le tenir de toutes ses forces, lutter, s’accrocher à lui quand il s’en irait, se faire plutôt traîner jusque dans les escaliers, jusque dans la rue… Mais non, quelque chose la clouait sur place : d’abord la conscience