Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/361

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pourquoi est-ce que les choses resplendissent de cette manière, qu’est-ce qui va se passer, qu’est-ce qu’il y a ?… Eh ! Bien non, il n’y avait rien, jamais ; c’était simplement la région des tropiques qui était ainsi. Il n’y avait rien que les mers désertes, et toujours l’étendue circulaire, absolument vide…

Ces nuits étaient bien d’exquises nuits d’été, douces, douces, plus que nos plus douces nuits de juin. Et elles troublaient un peu tous ces hommes dont les aînés n’avaient pas trente ans…

Ces obscurités tièdes apportaient des idées d’amour dont on n’aurait pas voulu. On se voyait près de s’amollir encore dans des rêves troublants ; on sentait le besoin d’ouvrir ses bras à quelque forme humaine très désirée, de l’étreindre avec une tendresse fraîche et rude, infinie. Mais non, personne, rien… Il fallait se raidir, rester seul, se retourner sur les planches dures de ce pont de bois, puis penser à autre chose, se remettre à chanter… Et alors les belles chansons, gaies ou tristes, vibraient plus fort, dans le vide de la mer.

Pourtant, on était bien sur ce gaillard d’avant pendant ces veillées du large ; on y recevait en pleine poitrine les souffles frais de la nuit, les