Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/70

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Nous entrons sur la pointe du pied dans cette grande chambre qui est pauvre et presque vide. Les choses ont l’air de pressentir cette visiteuse sombre qui est attendue : on se demande même si elle n’est pas déjà arrivée, et les yeux se portent avec inquiétude vers un lit dont les rideaux sont fermés. Yves regarde partout, essayant de tendre son intelligence vers le passé, s’efforçant de se souvenir. Mais non, c’est fini ; et, là même, il ne retrouve plus rien.

Nous redescendions pour nous en aller, quand tout à coup quelque chose lui revint comme une lueur lointaine.

— Ah ! dit-il, à présent, je crois que je reconnais cet escalier. Tenez, en bas, il doit y avoir une porte de ce côté-là pour entrer dans la cour, et un puits à gauche avec un grand arbre, et, au fond, l’écurie où se tenait le cheval aux pieds blancs.

C’était comme si une éclaircie se fût faite tout à coup dans des nuages. Yves s’était arrêté sur ces marches et, les yeux graves, il regardait par cette trouée qui venait de s’ouvrir subitement sur le passé ; il était très saisi de se sentir aux prises avec cette chose mystérieuse qui est le souvenir.