Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/73

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visage humain, qui leur était resté de la nuit comme une obsédante image blême gravée dans leur mémoire. Pendant tout leur quart, ils l’avaient vue là-haut, suspendue toute seule, toute ronde, au milieu de l’immense vide bleuâtre ; même ils avaient été obligés de se cacher le front (pendant leur sommeil, le ventre en l’air à la belle étoile) à cause des maladies et maléfices qu’elle jette sur les yeux des matelots, lorsque ceux-ci s’endorment sous son regard.

Ils étaient là quelques-uns qui conservaient toujours et quand même un grand air de noblesse, je ne sais quoi de superbe dans l’expression et la tournure, et le contraste était singulier entre leur aspect et les choses naïves qu’ils faisaient.

Il y avait Jean Barrada, le sceptique de cette compagnie, qui lançait de temps à autre dans la discussion l’éclat mordant de son rire, montrant ses dents blanches toujours et renversant sa belle tête en arrière. Il y avait Clet Kerzulec, un Breton de l’île d’Ouessant, qui se préoccupait surtout de ces traits humains estompés sur ce disque pâle. Et puis le grand Barazère, qui jouait le sérieux et l’érudit, leur assurant que c’était un monde beau-