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LE ROMAN D’UN ENFANT

pas ; des mots qui à eux seuls feraient couler les larmes bienfaisantes, auraient je ne sais quelle douceur de consolation et de pardon ; puis renfermeraient aussi l’espérance obstinée, toujours et malgré tout, d’une réunion céleste sans fin…

Car, puisque je touche à ce mystère et à cette inconséquence de mon esprit, je vais dire ici en passant que ma mère est la seule au monde de qui je n’aie pas le sentiment que la mort me séparera pour jamais. Avec d’autres créatures humaines, que j’ai adorées de tout mon cœur, de toute mon âme, j’ai essayé ardemment d’imaginer un après quelconque, un lendemain quelque part ailleurs, je ne sais quoi d’immatériel ne devant pas finir ; mais non, rien, je n’ai pas pu — et toujours j’ai eu horriblement conscience du néant des néants, de la poussière des poussières. Tandis que, pour ma mère, j’ai presque gardé intactes mes croyances d’autrefois. Il me semble encore que, quand j’aurai fini de jouer en ce monde mon bout de rôle misérable ; fini de courir, par tous les chemins non battus, après l’impossible ; fini d’amuser les gens avec mes fatigues et mes angoisses, j’irai me reposer quelque part où ma mère, qui m’aura devancé, me recevra ; et ce sourire de sereine confiance, qu’elle a maintenant, sera devenu alors un sourire de triomphante certitude.