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LE ROMAN D’UN ENFANT

acclimatées, avec des joncs, des iris sauvages, — et les libellules égarées en ville viennent s’y réfugier. C’est un tout petit coin de nature agreste qui est installé là et qu’on ne trouble jamais.

C’est aussi le coin du monde auquel je reste le plus fidèlement attaché, après en avoir aimé tant d’autres ; comme nulle part ailleurs, je m’y sens en paix, je m’y sens rafraîchi, retrempé de prime jeunesse et de vie neuve. C’est ma sainte Mecque, à moi, ce petit coin-là ; tellement que, si on me le dérangeait, il me semble que cela déséquilibrerait quelque chose dans ma vie, que je perdrais pied, que ce serait presque le commencement de ma fin.

La consécration définitive de ce lieu lui est venue, je crois, de mon métier de mer ; de mes lointains voyages, de mes longs exils, pendant lesquels j’y ai repensé et l’ai revu avec amour.

Il y a surtout l’une de ces grottes en miniature à laquelle je tiens d’une façon particulière : elle m’a souvent préoccupé, à des heures d’affaissement et de mélancolie, au cours de mes campagnes… Après que le souffle d’Azraël eut passé cruellement sur nous, après nos revers de toute sorte, pendant tant d’années tristes où j’ai vécu errant par le monde, où ma mère veuve et ma tante Claire sont restées seules à promener leurs pareilles robes noires dans