Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/11

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Anne s’était-elle accoutumée à croire qu’il n’y avait ici-bas que des saints et des damnés. Sans doute, ceux-ci pouvaient d’avance prévoir leur futur supplice en constatant que pas une lueur extraordinaire ne venait à eux du firmament, que les corbeaux ne leur apportaient pas leur nourriture, que le fer les blessait, que le feu les brûlait et que les grandes eaux de la Seine ne s’écartaient point sur leur passage. Ceux-là, au contraire, les Saints, les Élus, étaient toujours avertis de la bienveillance divine par quelque manifestation soudaine et surnaturelle : une voix, une vision, un présent céleste apporté doucement par des mains invisibles dans leurs mains extasiées.

Et comme rien de miraculeux ne venait éclairer la vie de Marie-Anne, elle ne croyait pas à sa rédemption.



Au sommet de la Tour de Beurre, il y avait une cloche, la plus lourde du monde, la plus monstrueuse qu’eût jamais fondue un mouleur de bronze.

On la nommait la Georges-d’Amboise, du nom du cardinal qui avait fait bâtir la Tour. Elle pesait quarante mille livres et était mue par quatre câbles ; mais depuis très longtemps on ne la sonnait plus, parce que sa voix grave était si retentissante