Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/153

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rons, jusqu’à la souffrance, des femmes plus belles que les femmes, et à l’instant de la possession, nous les verrons, comme sur terre, s’évanouir en vaines fumées. Mais ce qui est ici un spasme, une transe, un cri, un sanglot, — ce qui suffit à préparer la malédiction d’une vie humaine par l’enfantement du souvenir futur, — sera là-bas le perpétuel frisson, l’angoisse ininterrompue, le supplice des années et des siècles, des siècles… Ah ! Dieu !… Tel est le destin qui m’attend.


Ses yeux se fixèrent sur une pierre du sol. Hochant la tête il reprit, d’une voix affreusement altérée :

— J’ai mal vécu, monsieur ; voici comment :

Je suis né de parents protestants, dans la montagne de la Wartburg, là même où Luther, voici plus de trois siècles, édifia sa mauvaise doctrine. Ma jeunesse fut pieuse, ma vie austère et noble. Pourtant dès ma quatorzième année je ne pouvais regarder une femme sans être assailli de désirs terribles. Je les matai. C’étaient des luttes atroces qui me laissaient, au matin, le front trempé de sueur et les mâchoires tremblantes. Je croyais rester pur en vivant sans amour, insensé que j’étais, aveugle sur moi-même ! Pour rester pur je me serais tué de ma main avant d’accomplir le péché. Jamais ceux qui n’ont pas connu ces combats nocturnes entre un devoir religieux et