Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/85

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— Callistô, ne dis pas d’absurdités.

— Je répète et je soutiens que l’Amérique a été découverte par Aristote, et que ceci n’est pas une thèse paradoxale, mais un fait historique et patent. Aristote savait que la terre était ronde, et (tu peux le lire dans ses œuvres) il avait conseillé de chercher le chemin des Indes « par l’occident, au delà des colonnes d’Héraklès ». C’est le projet qu’a repris Colomb. Mais on a toujours estimé que la gloire d’une découverte revient au cerveau qui conçoit et non à l’ouvrier qui exécute. Quand Leverrier a découvert Neptune…

— Eh bien ! dis-je au comble de la lassitude, tu conviens donc au moins de ceci : nous avons découvert Neptune.

— Et quand cela serait ! On a découvert Neptune ! Tu es étonnant ! Depuis hier, je te supplie de me révéler un plaisir nouveau, une conquête vers le bonheur, une victoire sur les larmes. Et on a découvert Neptune ! Je rentre dans la vie après vingt siècles, anxieuse de tout, jalouse des merveilles que je suppose inventées, me demandant si je ne vais pas pleurer pendant ma vie d’ombre éternelle, pour être venue au monde trop tôt : et on a découvert Neptune ! Un plaisir ! un plaisir ! plaisir de l’esprit, plaisir des sens, que m’importe ! Vais-je donc redescendre aux plaines Élysées sans emporter avec moi le frisson d’une volupté nouvelle ?