Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/217

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Le jeune homme se regarda en suivant dans son esprit le mélange de satisfaction volontaire et d’amertume qui accompagne la réalisation des plus petits projets. Chez lui, dans l’ameublement qu’il s’était composé, une figure antique ne détonait presque pas ; il aurait accepté de conserver à l’ordinaire, comme un pyjama un peu plus orné, ce vêtement de la Troade ; mais il redoutait le contact avec la rue et les passants à travers les vitres du coupé ; il souffrait à l’avance d’être pris pour un masque et de guetter dans les regards des gens l’espèce de pitié qu’ils envoient à ceux qui paraissent avoir trop apprêté une réjouissance aléatoire ou vaine.

Un instant il se demanda s’il partirait. Car, étant très jeune, il ne se trouvait pas encore las de converser avec lui-même, et l’ennui ne le prenait qu’en public. S’il restait seul devant sa table, il était certain de passer une soirée délicieuse, égale en distractions et en imprévu à toutes celles analogues qui ornaient sa vie. S’il passait la porte, un hasard vague allait décider de ses plaisirs et faire pousser peut-être devant ses pas le spleen qu’il voyait comme une plante malade dont la fleur est un bâillement noir.

Il jeta sur ses épaules un grand manteau de laine blanche afin de brusquer sa résolution. L’heure pressait. Il sortit en hâte.

Paris, qui meurt chaque soir à sept heures et