Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/212

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tesque, ne faut-il pas aussi un style rapide, nerveux, enfiévré, qui se ressente de ce mouvement de machine, de cette atmosphère de chaudière, un style qui flambe enfin, comme cette usine monstre ?

Et comme tout cela est décrit ! Comme on sent que c’est vu, observé, noté sur place, pris sur le vif ; comme on le sent vivre, ce magasin, tout ce peuple d’hommes et de femmes, cet entrepôt de marchandises, cette ville de bâtiments, tout cela centralisé, condensé, dans ce Mouret qui lui imprime sa direction, qui règle ses développements et pousse de toute son âme, de tout son génie, l’accroissement prodigieux de sa maison. — Comme on sent que ce n’est pas du roman, que c’est de la vie, que cela crie la vérité ; il semble qu’on le voit, ce magasin, qu’on les connaît, ces hommes, qu’on les palpe, ces étoffes. — Mme Aurélie, je la connais, je l’ai vue, je lui ai parlé, cela est certain ! — Hutin, je l’ai vu cent fois. Et ces types d’acheteuses ! La dame qui fait déballer tout un rayon de dentelles pour avoir le plaisir de les voir, et qui se retire au bout d’un quart d’heure sans rien prendre ! La dame pas bête, qui n’achète que les articles que la maison vend évidemment à perte ! La dame qui entre pour acheter un lacet et qui finit par prendre deux cravates, six paires de bas, un corset, deux jupons, une robe pour sa fille, un manteau, une lampe, une malle et une