Page:Louÿs - Aphrodite. Mœurs antiques, 1896.djvu/100

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le monde m’est indifférent puisque tu es le seul bien que j’aie trouvé en lui ! Quand je te regarde et quand je me vois, je ne sais plus pourquoi tu m’aimes en retour. Tes cheveux sont blonds comme des épis de blé ; les miens sont noirs comme des poils de bouc. Ta peau est blanche conme le fromage des bergers ; la mienne est hâlée comme le sable sur les plages. Ta poitrine tendre est fleurie comme l’oranger en automne ; la mienne est maigre et stérile comme le pin dans les rochers. Si mon visage s’est embelli, c’est à force de t’avoir aimée. O Rhodis, tu le sais, ma virginité singulière est semblable aux lèvres de Pan mangeant un brin de myrte ; la tienne est rose et jolie comme la bouche d’un petit enfant. Je ne sais pas pourquoi tu m’aimes ; mais si tu cessais de m’aimer un jour, si, comme ta sœur Théano qui joue de la flûte auprès de toi, tu restais jamais à coucher dans les maisons où l’on nous emploie, alors je n’aurais même pas la pensée de dormir seule dans notre lit, et tu me trouverais, en rentrant, étranglée avec ma ceinture. »

Les longs yeux de Rhodis se remplirent de larmes et de sourire, tant l’idée était cruelle