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« Tu t’amuses quand tu te fous de moi ? Eh bien ! continue toute la nuit et chaque fois que nous coucherons ensemble. C’est le plus facile de tous les jeux. Je crois tout ce qu’on me dit et je ne me fâche de rien.

— Tu es désarmante ! lui dis-je.

— Je suis désarmée, fit-elle, parce que je sais depuis longtemps que je suis une pauvre bête. »

Mot lamentable, mot tragique ! Je n’oublierai jamais le ton que prit Charlotte pour me dire ce mot-là. Et les femmes sont bien folles de croire qu’elles nous séduisent par l’art de s’embellir. Charlotte faillit me prendre jusqu’au fond du cœur par cet aveu qu’elle me fit.

Nue devant moi, elle avait la tête inclinée, les mains jointes sur le ventre au niveau de ses poils… Je crus la regarder pour la première fois. Je vis que sa beauté, comme son caractère, était absolument sans fard. Ni rouge aux lèvres, ni fer aux cheveux ; rien aux cils ni aux paupières. Je la trouvai si simple, si belle et si bonne, que je lui dis en la brusquant par les coudes et par les hanches :

« Oui, tu es une pauvre bête, Charlotte, si tu ne crois pas tout ce que je vais te dire, m’entends-tu, Charlotte ? mot à mot. Tu es belle de la tête aux pieds. Il n’y a pas un trait de ton visage, pas un poil de ton ventre, pas un ongle de tes orteils qui ne soit joli. Et tu es aussi bonne que belle. Je te connais, maintenant, et c’est à moi de te répéter : fais ce que tu voudras sur mon lit. Je ne te défends qu’une chose, c’est d’injurier la fille que j’aime et contre laquelle je