Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rante-huit degrés cinquante-neuf minutes de longitude à l’est de Paris.

Dans la journée du cinq, on crut, à quatre heures après-midi, apercevoir la terre et des brisants dans l’ouest ; on se trompait, et nous continuâmes à y courir jusqu’à dix heures du soir. Nous passâmes le reste de la nuit, partie en panne, partie à courir de petits bords ; et au point du jour nous reprîmes notre route toutes voiles dehors. Depuis vingt-quatre heures, il passait devant les navires beaucoup de morceaux de bois et des fruits que nous ne connaissions pas ; la mer était aussi entièrement tombée, malgré le grand vent du sud-est ; et ces circonstances réunies me faisaient penser que nous avions de la terre dans le sud-est assez près de nous. Nous vîmes aussi dans ces parages une espèce de poissons volants singulière. Ils sont noirs, à ailes rouges ; ils paraissent avoir quatre ailes au lieu de deux, et leur grosseur est un peu au-dessus de la grosseur commune de ces poissons.

Le 6, à une heure et demie de l’après-midi, une bâture, qui se montra environ à trois quarts de lieue de l’avant à nous, m’avertit qu’il était temps de changer la route que je poursuivais toujours à l’ouest. Elle avait au moins une demi-lieue d’étendue depuis le ouest-quart-sud-ouest jusqu’au ouest-nord-ouest, quelques-uns même crurent apercevoir une terre basse dans le sud-ouest des brisants. Je fis gouverner au nord jusqu’à quatre heures, et alors je remis encore le cap à ouest. Ce ne devait pas être pour longtemps ; à cinq heures et demie les vigies aperçurent du haut des mâts de nouveaux brisants dans le nord-ouest et le nord-ouest-quart-ouest, à peu près à une lieue et demie de nous. Nous les approchâmes davantage, afin de les mieux reconnaître. On les vit s’étendre du nord-nord-est au sud-sud-ouest plus de deux milles, et on n’en apercevait pas la fin. Peut-être allaient-ils rejoindre ceux qu’on avait découverts trois heures auparavant. La mer brisait avec fureur sur ces écueils, et quelques têtes de roches s’élevaient sur l’eau de distance en distance. Cette dernière rencontre était la voix de Dieu, et nous y fûmes dociles. La prudence ne permettant pas de suivre pendant la nuit une route