Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/72

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et de légumes à me remettre. Le défaut de ces denrées indispensables me forçait de retourner en chercher dans la rivière de la Plata, attendu que nous ne trouvâmes à Rio-Janeiro ni biscuit, ni blé, ni farine.

Il y avait alors dans ce port deux bâtiments qui nous intéressaient, l’un français, l’autre espagnol. Le premier, nommé l’Étoile du matin, était un bateau du roi destiné pour l’Inde, auquel sa petitesse ne permettait pas d’entreprendre en hiver le passage du cap de Bonne-Espérance, et qui venait attendre ici le retour de la belle saison de ces parages. L’espagnol était un vaisseau de guerre, le Diligent, de soixante-quatorze canons, commandé par Dom Francisco de Médina. Sorti de la rivière de la Plata avec un chargement de cuirs et de piastres, une voie d’eau considérable, fort au-dessous de sa flottaison, l’avait forcé de relâcher ici, pour s’y remettre en état de continuer sa traversée en Europe ; depuis huit mois qu’il y était entré, les refus des secours nécessaires et les difficultés de toute espèce que le vice-roi lui faisait essuyer, l’empêchaient d’achever son radoub : aussi Dom Francisco m’envoya-t-il, le soir même de mon arrivée, demander mes charpentiers et calfats, et le lendemain je fis passer à son bord tous ceux des deux navires.

Le 22, nous allâmes en corps faire une visite au vice-roi ; il nous la rendit à bord le 25, et lorsqu’il en sortit, je le fis saluer de dix-neuf coups de canon, que la terre rendit. Dans cette visite, il nous offrit tous les secours qui étaient à son pouvoir : il m’accorda même la permission que je lui demandai, d’acheter une corvette qui m’eût été de la plus grande utilité dans le cours de l’expédition, et il ajouta que s’il y en avait au roi de Portugal, il me l’offrirait. Il m’assura aussi qu’il avait ordonné les plus exactes perquisitions pour connaître ceux qui, sous les fenêtres mêmes de son palais, avaient assassiné l’aumônier de l’Étoile peu de jours avant notre arrivée, et qu’il en ferait la plus sévère justice. Il la promit, mais le droit des gens élevait ici une voix impuissante.

Cependant les attentions du vice-roi pour nous continuèrent plusieurs jours ; il nous annonça même de petits soupers qu’il se pro-