Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/74

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que le commandant espagnol lui envoya par un officier de son bord.

Nous partageâmes la disgrâce de nos alliés. Lorsque, d’après la parole réitérée du vice-roi, j’eus conclu le marché pour l’achat d’un senau, son Excellence fit défendre au vendeur de me le livrer. Il fut pareillement défendu de nous laisser prendre dans le chantier royal des bois qui nous étaient nécessaires et pour lesquels nous avions arrêté un marché ; il me refusa ensuite la permission de me loger avec mon état-major, pendant le temps qu’on ferait à la frégate quelques réparations essentielles, dans une maison voisine de la ville que m’offrit le propriétaire, et que le commodore Byron avait occupée lors de sa relâche dans ce port en 1765. Je voulus lui faire à ce sujet, et sur le refus du senau et des bois, quelques représentations. Il ne m’en donna pas le temps, et, aux premiers mots que je lui dis, il se leva avec fureur, m’ordonna de sortir, et, piqué sans doute de ce que, malgré sa colère, je restais assis de même que deux officiers qui m’accompagnaient, il appela sa garde ; mais sa garde, plus sage que lui, ne vint pas, et nous nous retirâmes sans que personne parût s’être ébranlé. À peine fûmes-nous sortis, qu’on doubla la garde de son palais, on renforça les patrouilles, et l’ordre fut donné d’arrêter tous les Français qu’on trouverait dans les rues après le coucher du soleil. Il envoya dire aussi au capitaine de vaisseau français de quatre canons d’aller se mouiller sous le fort de Villagahon, et le lendemain je l’y fis remorquer par mes canots.

Je ne songeai dès lors qu’à me disposer au départ, d’autant plus que les gens du pays que nous fréquentions, avaient tout à craindre du vice-roi. Deux officiers portugais furent la victime de leur honnêteté pour nous : l’un fut mis au cachot dans la citadelle, l’autre envoyé en exil à Santa, petit bourg entre Sainte-Catherine et Rio-Grande. Je me hâtai de faire notre eau, de prendre à bord de l’Étoile les provisions dont je ne pouvais me passer, et d’embarquer des rafraîchissements. J’avais été forcé d’augmenter la largeur de mes hunes ; le commandant espagnol me fournit le bois nécessaire pour cette opération, bois qu’on nous avait refusé aux chantiers.