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Au delà de Saravan, la route franchit plusieurs fois, à travers forêt, le Se Don, qui se réduit ici aux proportions d’une petite rivière et dont les sinuosités dessinent les derniers contre-forts du massif montagneux où il prend sa source. La hauteur relativement considérable de sa vallée et le voisinage des montagnes produisaient un sensible abaissement de température, et le matin le thermomètre accusa à plusieurs reprises une température de 12° à 13°, qui parut très-froide à des gens habitués aux chaleurs tropicales de la Basse-Cochinchine.

Le 17 novembre, l’expédition quitta définitivement le Se Don qui s’enfonçait dans le sud à l’intérieur des montagnes et qui n’avait plus que 10 mètres de large. Les voyageurs franchirent peu après la ligne de partage des eaux de la vallée du Se Don et du Se Cong. La forêt devenait moins frayée et la marche des éléphants plus lente. La route montait et descendait sans interruption des collines rocheuses au milieu desquelles coulaient de nombreux ruisseaux se dirigeant tous vers le Se Cong. On campa le soir au confluent de l’un d’eux avec cette rivière qui a déjà en ce point plus de 100 mètres de large.

La vallée du Se Cong est à un niveau très-sensiblement inférieur à celui de la partie correspondante de la vallée du Se Don ; cette différence fut surtout sensible à M. de Lagrée par la comparaison de la température. Le thermomètre, qui, après Saravan, était descendu à 12,5°, se releva de 2 degrés sur les bords du Se Cong.

Au dire des porteurs laotiens, ce premier campement sur les rives désertes de la rivière d’Attopeu n’était pas sans danger ; les animaux féroces étaient fort nombreux dans le voisinage. Aussi, l’escorte indigène de M. de Lagrée alluma de grands feux et dressa à la hâte un petit autel à Bouddha.

Ce ne fut qu’après deux jours de marche le long de la rive droite du Se Cong, que la population apparut sur ses bords et que les voyageurs purent continuer leur route en barque. Au point d’embarquement, Ban Coumkang, le Se Cong a 150 mètres de large et un courant de 3 ou 4 milles à l’heure. Le 20 novembre, les voyageurs passèrent devant l’embouchure du Se Noï, affluent de la rive droite, qui sert de limite aux provinces de Saravan et d’Attopeu.

À Ban Coumkang, M. de Lagrée avait rencontré un mandarin siamiois en tournée dans le pays. Il y avait en ce moment dans tout le Laos inférieur un grand nombre d’envoyés de Bankok, chargés de réveiller le zèle des gouvernants et de faire au nom du roi une sorte de commerce forcé qui, pour les populations, s’ajoute aux charges de l’impôt ; c’est ainsi que Sa Majesté Siamoise fixe elle-même les quantités de cire, d’ivoire et d’autres produits indigènes qu’on devra lui remettre en échange des cotonnades et des autres objets d’exportation européenne qui n’ont pu être écoulés à Bankok. Ce mandarin avoua naïvement au chef de la mission française, qu’il avait reçu l’ordre de s’informer de tous nos actes et de prendre note de tous les cadeaux et de toutes les dépenses que nous ferions. M. de Lagrée put constater par son propre dire que la Commission française laissait derrière elle une excellente réputation, et que son voyage avait dissipé une partie des appréhensions qu’a excitées jusqu’à présent au Laos l’annonce de la venue des Européens.