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Le 21 novembre au soir, M. de Lagrée arriva à Attopeu. Jusqu’à ce point, le Se Cong coule au pied des dernières pentes du massif de Phou Luong. Ses berges sont peu élevées et semblent n’indiquer que des crues de 4 ou 5 mètres. Sa largeur dépasse 200 mètres, sa profondeur est de 3 à 4 mètres, son courant de deux milles à l’heure.

Attopeu est bâti au confluent du Se Cong et du Se Khman. Un grand nombre de villages sauvages se groupent dans ses environs ; ils appartiennent aux tribus des Lové, des Huey et des Souc. Les Lové me paraissent appartenir à la grande tribu désignée sous les noms différents, mais synonimes, de Proons, de Brau ou de Thpouons[1]. L’expédition de M. de Lagrée visita un de leurs villages situé au sud d’Attopeu, sur les hauteurs qui bordent la rive gauche du Se Cong. Il était entouré d’une palissade, et au-dessus de la porte, qui y donnait accès, pendait un morceau de bambou couvert d’inscriptions[2]. Les maisons, au nombre de 70 ou 80, sont construites en demi-cercle. Elles sont toutes d’un modèle uniforme : leur forme est rectangulaire, et elles ont une largeur de deux mètres et demi environ, sur trois mètres de long et deux mètres de haut ; elles sont, comme les habitations laotiennes, supportées par des poteaux qui ménagent entre le sol et le plancher un espace qui sert de basse-cour ; les deux pignons sont percés de deux portes qui se correspondent. Les hommes sont généralement grands et bien faits ; le nez est plus droit, le front plus développé que celui des Laotiens. Ils portent les cheveux longs ; des bracelets de fil de laiton, des colliers de verroteries, des cylindres de bois passés dans le lobe des oreilles, forment les traits les plus saillants de leur parure. Je crois que la grande tribu des Proons doit être rattachée plutôt au groupe Malayo-autochthone des Rade et des Chams qu’au groupe des Huey, des Souc, des Banar, etc. (Voy. ci-dessus, p. 112.) Il y a des Proons indépendants qui habitent le massif montagneux appelé Phou Bang chioï, dans le N.-N.-E. de Sieng Pang. Ce ne sont pas les seules tribus qui habitent cette zone ; il faut citer encore les Boloven, les Iahoun, les Hin, qui se trouvent disséminés dans la région comprise entre Khamtong niaï, Saravan et Attopeu. Ces populations, auxquelles les Laotiens donnent le nom générique de Khas, les Annamites celui de Moïs, les Cambodgiens celui de Pennongs, sont plus nombreuses qu’on ne l’estime généralement, et l’on s’étonne à bon droit qu’elles aient pu être soumises par les Laotiens. Elles sont actives, agiles, industrieuses ; leurs cultures attestent des soins intelligents, et un grand nombre des produits de leur travail portent un cachet particulier de délicatesse et d’élégance. L’absence de tout lien religieux ou politique entre les diverses tribus peut seule expliquer leur asservissement. Il est probable qu’il faut toutes, ou à peu près toutes, les rattacher à un tronc commun. Le plus grand

  1. Ce sont les Khas Tampuens de Bastian, Die Vœlker des œstlichen Asien, t. IV, p. 294.
  2. Il est bien regrettable que les voyageurs n’aient point rapporté un spécimen de ces inscriptions. Peut-être les caractères en sont-ils empruntés à l’écriture cambodgienne ou aux hiéroglyphes chinois ; peut-être aussi sont-ils particuliers à ces sauvages, et dans ce cas, ils seraient du plus grand secours pour résoudre l’intéressante question d’ethnographie et d’histoire que soulève la présence de ces populations au milieu des habitants d’origine mongole qui les ont asservies. Voy. Atlas, 2e partie, pl. I, les figures 3, 4 et 5. Elles donnent une idée assez juste du type qui est le plus ordinaire chez les tribus de la vallée du Se Cong.