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les eaux bleues et les terrasses blanches, à travers une brume qui reflétait la teinte chaude des montagnes[1]. Rien de plus saisissant que le paysage oriental qu’offrent ces montagnes aux teintes fauves et brûlées, et cette ville qui mire dans l’onde d’un beau fleuve sa couronne de créneaux. La teinte grise de ses maisons, ses toits plats, les jardins qui bordent intérieurement ses remparts, lui donnent l’aspect d’une ville turque ou arabe. La plaine est nue et jaunâtre ; le riz est moissonné et ses gerbes d’or restent encore entassées çà et là. Seuls, quelques champs de cannes à sucre, des bois d’aréquiers et d’orangers verdissent par places le paysage. Pendant que la ville semble reposer dans une sieste nonchalante, sur la rive opposée du fleuve, une vaste nécropole émaille les pentes de la montagne de hautes plaques de marbre blanc couvertes d’inscriptions. Les morts semblent contempler le sommeil des vivants. Une marche de trois quarts d’heure, pendant laquelle nous descendîmes de 1,200 mètres, nous amena dans la plaine. Nous y retrouvâmes le ciel bleu et le climat des tropiques, succédant aux pluies et au froid des jours précédents.

Une magnifique réception nous était préparée à Yuen-kiang : les mandarins étaient aux portes de la ville en grande tenue ; deux cents soldats ou porteurs de bannières de toutes couleurs formaient la haie sur notre passage ; l’artillerie tonna, la musique se fit entendre. Nous traversâmes une rue interminable où la population s’entassait à flots pressés ; devant nous cheminaient de nombreux gamins portant sur le dos d’énormes écriteaux sur lesquels était inscrit un compliment de bienvenue. On nous logea dans une belle pagode bâtie sous Khang-hi, et située à l’extrémité nord de la ville. Yuen-kiang, quoique ville de second ordre, forme une circonscription indépendante qui relève directement de Yun-nan. Il y a dans les environs un grand nombre de Thai, que les Chinois appellent Pa-y : ce sont les anciens habitants du Muong Choung, nom que portait le territoire de Yuen-kiang, avant la conquête chinoise. Les Pa-y deviennent de plus en plus nombreux et presque indépendants quand on se rapproche de la frontière du Tong-king. Les Chinois les citent toujours les premiers quand ils énumèrent les sauvages de la contrée ; après les Pa-y, viennent les Ho-nhi, les Ka-to, les Chauzou, les Pou-la, les Lope, les Lolos. Les dialectes de ces dernières tribus diffèrent peu et dérivent d’une même langue. Les Lolos sont peut-être ceux dont le langage s’éloigne le plus des autres : il paraît se rapprocher de celui des Kouys de la rive droite du fleuve[2].

Les femmes Pa-y portent autour du cou une sorte de collier haut de trois doigts environ et composé d’une étoffe rouge ou noire sur laquelle de petits clous d’argent forment des dessins. On croirait voir de loin le collier hérissé de pointes d’un bouledogue. Une sorte de plastron, agrémenté de la même manière, s’étale sur la poitrine. Des boucles d’oreilles, d’un travail fort délicat, figurent tantôt des cercles, le plus souvent un anneau supportant un petit plateau carré auquel sont attachées une foule de pendeloques ; de longues épingles de tête, aux extrémités desquelles pendent avec profusion ces mêmes pendeloques, complètent les ornements du costume qui sont exclusivement en argent, et d’où les pierres, le verre, les perles sont exclus. Rien de plus élégant en somme que les jeunes

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXXVI, le panorama du fleuve et de la ville de Yuen-kiang.
  2. Voy. les vocabulaires donnés à la fin du second volume.