Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/104

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destin, sachant fort bien qu’outre les femmes contre qui il était sans défense, il avait encore, entre le nez et le menton, un sacré pertuis qui lui coûtait fort cher pour ce qu’il réclamait, étant toujours à sec, de fréquents et copieux arrosages.

La veille de ce jour, il était parti de la côte de Longeverne pour aller quérir aux Brenets, petit village de la frontière suisse, une charge de tabac.

Il avait repassé le Doubs à la minuit, au lac de Chaillon, puis il avait remonté les crêts par un des mille sentiers que l’ingéniosité des contrebandiers leur fait sans cesse frayer à travers ces prés-bois et ces boqueteaux de sapins.

Kinkin, vers la quarantaine, était un gaillard de taille moyenne qui dissimulait sous des dehors chétifs et une allure pataude une force herculéenne et une agilité de singe. Il n’épatait plus ses compatriotes en démarrant à lui seul une voiture chargée qu’un bon carcan avait dû laisser en panne, et d’aucuns l’avaient vu, certain jour, les cognes à ses trousses, son fusil d’une main et un lièvre de l’autre, franchissant les clôtures de ronces artificielles et les murs de pâtures aussi allègrement que s’ils n’eussent eu que vingt-cinq centimètres au lieu de quatre bons pieds de haut.

Ce jour-là, par un heureux hasard, il avait dépisté les gabelous de Villers et glissé entre les lignes de ceux du Luhier et de Fuans sans être