Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/139

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informé avant quiconque des menus potins du pays et n’avait pas son pareil pour les répandre et les amplifier. Pas un qui n’eût passé par son laminoir !

C’était surtout le dimanche, après la messe, devant un pernod « bien tassé » qu’il fallait le voir et l’entendre : un tel mettait de l’eau dans le lait qu’il portait à la fromagerie, la maison de celui-là était hypothéquée jusqu’à la dernière aisseule, tel autre couchait avec la femme du voisin, le curé était un vieux cochon et le maître d’école un fainéant. Nul n’échappait à sa dent et, comme il était solide, bien musclé et assez « braque » de son naturel, qu’il menaçait élégamment de casser la gueule à quiconque lui chercherait noise, il était aussi détesté que craint dans le pays. Il y vivait pourtant, soit en faisant le terrassier, soit en bricolant à de vagues besognes de charpentier et de maçon, soit encore, au moment des travaux, en se louant comme journalier pour faucher les foins et les blés.

On ne l’occupait, il est vrai, qu’à contre-cœur et quand on ne pouvait pas faire autrement ; mais comme le village manquait d’ouvriers agricoles, beaucoup de cultivateurs tout de même, certains jours où l’ouvrage pressait dur, étaient bien contents de le trouver là et de solliciter, contre argent comptant, ses services.

Cela ne pouvait cependant pas toujours durer.