Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/234

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ses yeux papillotaient comme le soir après la soupe, quand le marchand de sable est passé.

Il restait quand même, voulant en savoir le plus possible et, comme les autres, ne quitta la place de la fontaine qu’après la sortie des gendarmes, plus graves et plus sévères que jamais.

Sa mère vint le chercher pour la soupe du soir mais il ne se sentait aucun appétit, mangea très peu et gagna son lit en quittant la table.

Les idées tourbillonnaient dans sa tête comme ces essaims fous de papillons bleus que l’on voit voltiger après les averses au-dessus des flaques de boue. Il pensait : Biribi, Cayenne, le boulet, la chaîne, un satyre, se sauver, se sauver comme Le Rouge !

À grand’peine, il s’endormit, mais d’un sommeil fiévreux, peuplé de visions sinistres où défilaient, dans des décors inconnus et sauvages, des processions d’hommes sombres traînant des chaînes cliquetantes et des boulets énormes.

En sursaut, dans la nuit, il s’éveilla, la bouche amère, le front brûlant, le corps en moiteur. Il mourait de soif : boire, boire ! Il sauta du lit et, pieds nus, en chemise, courut à la seille de la cuisine sur laquelle flottait le bassin de cuivre. Collant ses lèvres au métal frais, il but avidement, puis, la tête lourde et vacillante, regagna sa couche.

— Elle n’a rien dit, murmura-t-il, et le père