Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/99

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aigreur de les voir trinquer indifféremment avec les uns et avec les autres, ils tiraient de leur poche, et toujours confidentiellement, le billet de la liste adverse en disant simplement :

— Tu vois, je les roule ; je leur montre ce billet-là et je leur fais croire que je vote pour eux ; tu comprends, je suis pauvre, j’ai besoin de tout le monde ; mais pas de danger, tu sais que je suis du bon côté !

Et cela continua jusqu’au soir.

Cinq minutes avant que ne sonne la cloche annonçant la fermeture du scrutin, Laugu, raide comme la Justice dans sa blouse bleue, brodée, et Abel, titubant dans sa vieille redingote de rat, mais dignes quand même et flanqués d’une escorte imposante de Rouges et de Blancs anxieux de leur acte, remettaient ès mains du président un billet immaculé, puis repartaient se faire payer indifféremment à boire par les uns et par les autres dans les deux auberges du village.

Quand fut achevé le dépouillement, on constata qu’il y avait 47 bulletins pour les Rouges et 47 bulletins pour les Blancs. Le président, abasourdi, et son bureau ahuri, prononcèrent le ballottage.

Il y eut un grand silence ! Tous, Rouges et Blancs, faisaient des têtes !…

— Je voudrais bien savoir, disait le Gros du Maréchal en descendant l’escalier de la mairie,