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situation. On soupe avec les provisions trouvées à l’hospice : pain, viande salée, conserves… ; l’on s’entasse tant bien que mal à douze dans les chambres et le dortoir du Refuge. On dort peu ou point. Je dois même dire que je n’ai peut-être jamais ri autant que dans cette première soirée du séjour. En fait de provisions de route, j’avais les Mémoires de Joseph Prud'homme et je me délectais des naïvetés étonnantes de ce personnage devenu plus tard si fameux.

« Toute la nuit. La tempête augmente, la neige continue à tomber, large et pressée ; la bise est glaciale.

« De quart d’heure en quart d’heure, un son lugubre comme un glas traversait l’air, c’était la cloche de l’hospice ; elle rappelait son voisinage secourable aux voyageurs en péril. Toute la nuit, le fanal avait été allumé ; sa lumière, reflétée par les neiges, n’avait guidé vers nous aucun voyageur.

« Le matin, on ne peut plus ouvrir les portes de la maison de refuge, tant la neige s’est entassée dans ses abords. Hé ! ça commençait à ne plus être si drôle, car une question de premier ordre se présentait : celle du couvert était résolue ou à peu près, mais restait celle du vivre.

« Le cantonnier déclara qu’il nous ferait probablement dîner, mais que, en son âme et conscience, il ne pouvait nous promettre à souper. À cette déclaration qui manquait absolument de gaieté, je répliquai — car j’étais jeune alors — par un grand éclat de rire et je me mis à chanter :