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Page:Louise Drevet - en diligence de Briançon à Grenoble, 1879.djvu/28

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passer ! En deux temps, trois mouvements, je débarrasse vitement la mule de son faix ; j’en charge deux de ses compagnes qui se tireront comme elles pourront de ce surcroît de port ; j’attache fortement la bête rétive à un sapin et, piquant les autres, je m’éloigne.

« Dire que je n’avais point de regret en abandonnant à son sort ma mule méchante, vicieuse, mais forte comme deux bœufs, serait me faire plus dur que je ne suis… mais, mettez-vous à ma place… »

— Eh ! fit le conducteur en riant, elle n’était déjà pas si désirable, votre place. Continuez donc, Genevois. Votre aventure ne finit pas de cette façon ?

— Oh ! certainement, non ! Arrivé sain et sauf chez moi, je raconte à ma femme pourquoi elle ne voit pas l’Allemande avec les autres mules ; je pense à ma bête qui pendant tout ce temps doit être à se défendre comme elle peut contre les attaques du troupeau de loups ; j’y pense tant et tant que je ne peux pas fermer l’œil de toute la nuit. Ma femme m’a même dit que j’avais pleuré, mais ça, c’est une supposition à elle…

« Quand le matin fut venu, mes idées s’arrangèrent et je me dis :

« — Puisqu’il faut en faire son deuil, j’en fais mon deuil ! La bête m’avait coûté cent écus ; c’est une nuit bien chère que ces maudits loups m’ont fait passer, sans compter le mauvais sang que je me suis fait… Allons là-bas voir ce qui reste de l’Allemande ; ses fers étaient tout neufs, son licou était bon, les carnassiers ne doivent pas avoir tout digéré…